C'est dans le plus grand anonymat que repose l'un des pionniers de l'aéropostale dans le carré réservé aux indigents d'un grand cimetière agenais. René Drouillet (1898-1974) est inhumé dans ce terrain en pente, sans aucune sépulture, là où gisent des morts pauvres.
Seul un piquet numéroté indique l'emplacement du corps, même pas un nom ne souligne qu’ici repose un incroyable aventurier du ciel.
Né en 1898 à Agen, où il passe son enfance, René Drouillet est appelé sous les drapeaux en 1916, pendant la Grande Guerre. Il rejoint la Marine, qu’il quittera en 1919, son intérêt se portait déjà sur les avions. Il naviguera ensuite quelques temps dans la marine marchande, qu’il quittera pour rejoindre "l’aviation militaire".
C'est là que commence la vie rocambolesque d'une vraie tête brûlée, digne des plus grands feuilletons.
C'est au Maroc, alors sous domination française, qu'il apprend le pilotage puis obtient, très difficilement, son brevet.
Après avoir quitté à nouveau l'armée, on le retrouve en 1928, où il va convoyer un avion Potez-25 jusqu'à Kaboul. Le pays est alors plongé dans une guerre civile et le gouvernement afghan a besoin d'avions. Quand, après de grandes difficultés, il se pose enfin à Kaboul, il est fait prisonnier des rebelles ! C'est seulement à la suite de nombreux pourparlers avec le gouvernement français qu'il sortira de cette mauvaise posture.
En 1929, il rejoint à Toulouse cette compagnie de légende qu'est l'Aéropostale. Il travaille avec St Exupéry, Mermoz, Guillaumet et bien d'autres (trop souvent oubliés).
René Drouillet est un aventurier, il ne reste pas en place et, en 1930, il se reconvertit en pilote instructeur chez Morane-Saunier, un constructeur aéronautique. Il crée le centre d’entraînement de Toulouse-Francazal, et participe aussi à la création de plusieurs aéro-clubs dans le Sud-Ouest, notamment celui d'Agen, sa ville natale. Comme il n'a peur de rien, il s'initie également à
la voltige aérienne.
En 1935, il devient le pilote VRP du constructeur américain Beechcraft. Ses voyages se succèdent aux USA mais aussi en Europe. Puis c'est le départ pour l'Ethiopie, (pays attaqué par les troupes de Mussolini) ou il rapporte un avion à l’empereur Haïlé Sélassié, qui le charge de le transporter et d'acheter d'autres avions.
Alors qu'il convoie un avion des Etats-Unis en Europe (dans des conditions hasardeuses), l'affaire est dévoilée dans la presse et son appareil est saisi. René Drouillet s'enfuit de Paris en avion mais tombe en panne durant le vol, il doit atterrir en Italie où il est récupéré par la police de Mussolini et renvoyé en France où il sera condamné.
Mais rien ne l'arrête, il devient par la suite pilote de la France Libre !
En 1936, il rejoint l'Espagne qui est déjà en guerre, il fait de nombreux trajets secrets entre Madrid et Toulouse....
En 1937 il devient pilote acrobate et fait de nombreux meetings en France et à l'étranger comme au Canada.
En 1937-1938, il effectue un grand circuit en Asie (Chine, Indochine, Singapour, Thaïlande) et au Moyen-Orient. Il pilote des petits avions d’époque, dans des conditions que l’on imagine sommaires.
Mobilisé en 1939 dans l’aviation, on sait peu de choses sur son implication dans la Seconde Guerre mondiale, mais il réussit à traverser la frontière espagnole en décembre 1942, il rejoint l’Angleterre sous le nom de "Alain Montguelly".
L’après-guerre est difficile pour le "pilote à l’as de trèfle ", (nom donné à son avion) car il est peu à peu rattrapé par l’âge et l’aviation a changé : elle est de plus en plus préparée, réglementée, encadrée, et travaille en équipe. Tout le contraire de ce qu’est René Drouillet : un pilote spontané, solitaire, profitant des opportunités.
Il est quelques temps pilote pour plusieurs compagnie, notamment entre le Bourget et l'Afrique du Nord. Mis à la retraite malgré lui, il s'installe à Cannes et devient artiste peintre.
Entre 1970 et 1971, il écrit ses mémoires décrivant cette vie si agitée mélangeant rêves et réalité.
En 1974, âgé de 76 ans, il passe son brevet de parachutisme à Montauban prônant ainsi l'activité pour le 3ème âge.
René Drouillet s'éteint comme il avait vécu. C'est en se rendant de Cannes à Agen, alors qu’il conduit à vive allure sa voiture, qu'il décolle sur un dos-d'âne et quitte la route. Victime de graves blessures, il décède à l'hôpital d'Agen le 21 septembre dans une grande solitude. Cet aventurier ne pouvait pas rester dans l'anonymat, c'est pour cela que Mémoire d'Aéropostale s'est mobilisée afin que ce personnage ne reste pas inconnu et que ce précurseur de l'aviation soit mis en lumière. La recherche de ses descendants a permis de retrouver son petit fils qui a collaboré au dépôt d'une plaque commémorative sur sa tombe.
René Drouillet a reçu enfin l'hommage qu'il méritait.