FRANCE
Toulouse
Alpha et Oméga de ce voyage.
En lien avec l'aéropostale, je partage deux éléments qui influencent mon choix de suivre le tracé de la ligne. je mentionne moins les monuments présents dans la ville pour éviter les approximations et les oublis.
La genèse : une découverte enfantine de l'aéropostale et de ses machines. je me souviens avoir été captivé par ces avions découverts dans un livre et que j'avais ensuite reproduits en dessin. Si ma professeure d'art avait vu ce croquis, elle n'aurait jamais cru que j'en étais l'auteur.
La confirmation : une participation au marathon des géants, trois jours avant mon départ, dont le parcours met en valeur Montaudran et ses anciens occupants. a posteriori, je me dis que c'est un peu comme l'aéropostale, un défi à relever !
Je me promets de garder une petite somme pour tenter de dormir au Grand Balcon à mon retour.
Je poursuis ma route par étapes, en auto-stop, avant de franchir les Pyrénées par la côte basque et de rejoindre Saragosse.
Je décide de ne pas passer par Barcelone, non pas parce que l'aéroport utilisé n'existe plus ou que Gaudí ne m'inspire que du dégoût, mais simplement parce que mon projet est davantage tourné vers les Antilles, où je dois rejoindre Albane, qui partage ma vie. La route la plus fréquentée vers Gibraltar est celle de la façade atlantique.
Après Saragosse, je continue jusqu'à Elche et Alicante, que je prends le temps de visiter sans chercher à me raccrocher à l'histoire de la compagnie. Là encore, mon projet de voyage n'intègre pas l'Aéropostale. La révélation vient à Valence, où je me rends le lendemain pour aider après les inondations.
À Valence, je me retrouve allégé, avec la perte de mon sac à dos et la fin de mon aventure relationnelle. Si Archimède a déclaré "Eurêka" dans l'eau, je fais de même dans la boue. J'ai trouvé le fil rouge de ce voyage : suivre la trace des pionniers de l'Aéropostale en auto-stop. Je commence à Madrid, après avoir reconstitué quelques affaires, où une amie toulousaine peut m'accueillir.
Je sais également que Valence est une ville-étape de moindre importance pour l'Aéropostale. Mais après quelques recherches, je n'ai pas trouvé d'éléments notables subsistant dans la ville pour témoigner de cette histoire. Je décide donc de poursuivre ma route après avoir profité de l'hospitalité d'un photographe de corrida.
Rien d'intéressant du point de vue de l'Aéropostale. Je passe au total sept jours dans ces deux villes, grâce à Coline puis Karina, qui m'ont accueillies tour à tour. La route continue, entre banlieusards madrilènes, camion roumain et convoyeur automobile catalan.
J’ai déjà eu l'occasion de visiter la ville et le hall d'expositions de l'aéroport lors d'un voyage scolaire avec Florence Bonnevialle, membre de l'association elle aussi. Je décide de reprendre cet itinéraire tout en prenant le temps d'observer le décollage des avions. Je repars ensuite en direction d'Algésiras, où, après plusieurs jours d'attente et d'échanges, j'embarque dans le camion d'un routier d'Agadir et prends le bateau avec lui pour Tanger.
Tanger est pour moi, comme elle l'était pour la compagnie, la porte d'entrée vers le Maroc. Cette ville m'a laissé un souvenir mitigé. Outre le centre, je me suis arrêté à l'aéroport. C'est une zone en pleine expansion, avec de nombreux chantiers en périphérie, témoignant d'une certaine vitalité. Cet aéroport abrite également une stèle rendant hommage aux pionniers, parfaitement conservée.
Casablanca est la ville où la mémoire de l'Aéropostale est la plus présente. Dès mes recherches en amont, j’ai ce pressentiment, notamment dans le quartier de l'ancien aéroport d'Anfa. Cette zone est en profonde mutation et devient progressivement un centre d'affaires important, tout en conservant les traces de son passé aéronautique. L'ancien alignement de la piste est aujourd'hui une promenade.
Des références directes et symboliques subsistent : la documentation publique du projet mentionne l'Aéropostale comme une étape marquante, au même titre que l'occupation militaire antérieure (Camp Cazes) et civile postérieure (aérogare d'Anfa). Le quartier et le boulevard principal portent même le nom de "l'Aéropostale".
Dans le quartier du Petit Poucet et du Rialto, se trouve également le Rond-Point Jean Mermoz.
Après Casablanca, je continue mon chemin en direction vers le Sud et la région de Souss. Peu de choses à souligner du point de vue de l'Aéropostale, y compris à l'aéroport d'Agadir où peu de choses sont mentionnées sur cette période. Mais peut être suis-je passé à côté de l'immanquable...
SIDI FINI - CAP NOUN - FOUED ASSAKA - GUELMIM
Sur tes conseils JC, j'ai décidé de m'engouffrer depuis Sidi Fini sur une piste cabossée reliant Sidi Fini à la RN 1 en longeant la côte. Assis sur la remorque d'un Docker, nous pouvons nous rendre compte de la difficulté de manœuvrer des engins comme ceux de l'aéropostale. La force et le tourbillonnement des vents rendent la conduite terrestre difficile, maritime technique, alors j'ose à peine imaginer aérienne... Nous comprenons aussi toute l'importance de bien savoir communiquer en espagnol ici (notamment à Sidi Ifni), où la présence espagnole se manifeste encore beaucoup par la langue et de nombreux marocains parlent davantage castillan que français (pratique quand on a encore un Darija encore très limité...).
À Tarfaya, la mémoire de l’Aéropostale plane encore, portée par la figure de Saint-Exupéry. Outre le musée que vous connaissez bien et le petit avion offert par Verrières-le-Buisson, cette présence s’incarne aussi autour du Fort Espagnol.
Un échange avec Sadat, président de l’association des Amis de Tarfaya, m’a permis de mieux comprendre l’histoire des lieux et d’identifier les incontournables à visiter. En bon Sahraoui, il connaît ses terres comme sa poche et fait preuve d’une affabilité remarquable. Il m’a confié qu’un émissaire belge, envoyé par son roi, aurait récemment évoqué la possibilité de transformer cette zone en un "Petit Prince Land". Une perspective intrigante, mais sur laquelle je manque de détails.
Le Fort Espagnol et les dunes alentours pourraient bien être les futurs piliers de cette attraction. Pour l’heure, je me contente d’explorer et d’observer. Depuis le Fort Espagnol, la vue sur la maison de Saint-Exupéry, perchée sur le Cap Juby, est saisissante. Quant à l’ancienne piste, elle n’offre que peu d’intérêt en cette saison, ensevelie sous le sable.
Dès demain, cap vers Villa Cisneros (Dakhla), puis Port-Étienne (Nouadhibou). Brahim, le "boss" de l’hôtel où je loge, me prévient : "Là-bas, les Maures peuvent être de vrais roublards…"
DAKHLA
Je vous retrouve avec bonheur, sur une terrasse toute marocaine, les joues parfois fouettées par le balancement sec de mes affaires lézardant davantage encore que leur propriétaire, sous le soleil hivernal de Tarfaya.
Et pourtant, dès le lendemain, le temps est venu de s'enfoncer encore vers le Sud en direction de Dakhla. Il s'agit là de s'engouffrer dans ce mythique Sahara.
Dans ce récit, je fais le choix de ne pas ajouter de qualificatif supplémentaire, laissant à chacun en proie à ses opinions géopolitiques sur le sujet, et ce sans que n'importe leur lieu de survenance : forgées par le couple café long/Radio France, une discussion de palier avec son voisin rentrant à Mostaganem tous les étés ou la lecture d'un magazine de gare en attendant un train dont l'annonce du quai est sans cesse repoussée.
Le trajet a surtout été une découverte de panneaux de vigilance face aux traversées de chameaux ; indication qui ne doit avoir que peu d'intérêt pour nos anciens pilotes vu l'altitude à laquelle ils peuvent fréquenter les mêmes lieux.
La visite de Dakhla s'est faite le lendemain après un trajet relativement long sur une route longeant partiellement la côte, notamment entre Laayoune-Plage (El Marsa) et PK 40, giratoire très surveillé d'entrée vers la "Jazeera", péninsule ventée au bout de laquelle est située l'ancienne Villa Cisneros. Les autorités marocaines veulent en faire une place centrale au regard de sa position stratégique et elle subit donc de nombreux travaux. Pour moi, son charme actuel tient surtout dans sa baie ostréicole fournie, au sein de laquelle de nombreux Français se retrouvent pour déguster d'excellentes huîtres à la pointe de Biafine. Sur ce dernier point, il ne s'agit que d'une supposition faite sur la base d'observations cutanées.
Des huîtres, mais sans Biafine pour moi ! Mais avec vue sur les dauphins !
Sinon, le phare espagnol mentionné par Saint-Exupéry dans Terre des Hommes est toujours debout, et dans des teintes qui doivent être proches de celles déjà connues par nos prédécesseurs. Une légère frustration s'exprime au regard de l'impossibilité d'y accéder. L'aéroport est emmuré mais est facilement accessible au regard de sa proximité de la ville.
La suite s'écrit ensuite sur la route, où la veillée de Noël sera vécue dans une couchette dans la cabine de Safouane, après un bon tajine de poisson et une soirée passée à tenter d'expliquer pourquoi Arsenal ne doit pas se conjuguer qu'au passé. Le 25 au matin, ce sera le passage de la frontière, qui se traduira côté mauritanien par la découverte d'un système mêlant ordre et brouhaha, infrastructures dépassées et uniformes impeccables. Il se conclura par un "Bienvenue en Afrique" rieur d'un Sénégalais me voyant étonné de tels procédés.
Quelques heures plus tard, je suis pris par une Toyota break qui freine brusquement pour me récupérer et dont le conducteur ne dispose que de "peu de temps" mais accepte de me conduire à Nouadhibou. Je comprends une fois installé qu'il a un match de football prévu bien plus tard dans l'après-midi. Il m'y convie après avoir insisté pour me faire prendre un thé.
Je reste finalement quatre jours dans la maison de sa tante à Cansado, non sans avoir été invité à pêcher, visité l'ancien quartier français de Cansado et pris part au mariage traditionnel de l'un de leurs amis d'enfance. À celui-ci, pas de référence aux lacs du Connemara ou de table pour enfants, mais un spectacle grandiose où le boubou, le klaxon et surtout les musiques traditionnelles règnent sans partage. Seule la générosité de mes hôtes semble pouvoir être plus grande encore que la force de ces traditions.
Là encore, je ne vois que peu de traces dans la ville de l'Aéropostale, excepté peut-être à l'aéroport mais qui est fermé lors de mes passages. Je suis néanmoins satisfait d'avoir pu passer à ce qu'était alors Port-Étienne, une escale importante pour la ligne.
ZOUERATE
Sur les conseils de mes hôtes, la suite s’écrit en train-stop jusqu’à Zouerate, avant un retour vers l’Adrar puis Nouakchott, qui ne présente qu’un intérêt limité. Pas nul, car j’y retrouve des compagnons de route mauritaniens chez qui je suis invité, et il reste de possibles liens avec l’Aéropostale à explorer : Nouakchott est aussi une ville-escale. Quant à ma destination du jour, c’est une ville minière du Nord où les maisons sont des corons, le ciel est horizon, les hommes des mineurs de fond et… la terre, non pas charbon, mais fer. Perdu ;)
Le trajet ressemble à l’image que je me fais des trains indiens : une cacophonie d’embarquement, des sacs jetés en salle des machines, un confort rudimentaire où la couverture du voisin fait office de matelas. Les couchettes du Corail Austerlitz-Matabiau, ou ses variantes pyrénéennes et alpines, me paraissent presque être la Cadillac de Marjane Satrapi dans Persépolis : un luxe exotique, et qui me manque presque tendrement. Pourtant, la générosité entre voisins, nos franches rigolades
et leur défense au passage du contrôleur m’enveloppent. La rudesse du voyage s’oublie vite.
Sur les conseils d’un voyageur autrichien rencontré à la gare de Nouadhibou, je décide, une fois arrivé, de tenter l’ascension de la montagne la plus haute de Mauritanie. Elle culmine à 900 mètres. Ce n’est pas l’Aconcagua, ce n’est même pas le point culminant de la Creuse, mais je demande quand même à deux locaux, avec qui je partage le thé, de valider mon itinéraire. Ils m’orientent vers un chemin alternatif "plus sécurisé". Un troisième acquiesce. Vu ma méconnaissance du terrain, qui doit à peine dépasser celle que j’ai des thermostats turcs du 20e siècle (quasi-nulle), je décide de leur faire confiance.
La piste et le soleil sont d’une beauté rare, difficile d’imaginer que nous sommes en décembre.
Le chemin est physique, mais la vue récompense largement l’effort. Je m’arrête avant le coucher du soleil, en haut d’un sommet abrité. J’en profite pour avancer dans Terre des Hommes, juste avant que Guillaumet ne soit retrouvé et que l’avion de Saint-Exupéry ne commence à piquer.
Un feu allumé, le duvet déplié et la Voie Lactée installée, je m’endors paisiblement, peu après avoir vu les aiguilles de ma montre LCD marquer la nouvelle année. Le lendemain, réveillé par le soleil, je poursuis mon chemin. Les paysages restent sublimes, et l’apothéose vient avec la découverte d’un lac, que ma carte topographique numérique a largement sous-estimé.
En m’y approchant, la piste se dégrade. Un bout s’effondre sous mes pieds. Trop risqué, je rebrousse chemin. Quelques pas plus tard, nouvelle fissure. Cette fois-ci, je suis pris dans l’éboulement. Le cœur s’emballe, les jambes tétanisées, le cerveau en pause. Mon seul repère : le bruit des pierres qui roulent et cette sensation de saut en élastique… sans élastique. Aucun moyen de tenter un CTRL+Z, un Rewind ou un temps-mort digne de la NBA. Je tombe, essayant d’imiter Teddy Riner recevant un Ippon. Mauvaise inspiration : le premier ne tombe jamais, et moi, je n’ai jamais dépassé le demi-grade en judo.
Je me réveille sur le dos, sur un lit de rochers. Une mouche posée sur mon nez. Elle me rassure : si je suis au Paradis, ce serait un papillon. Et surtout, je n’aurais pas cette douleur fulgurante dans la cheville droite, déjà enflée au point de devoir enlever ma chaussure.
Je réalise lentement : un soubassement, un éboulement, une chute de cinq mètres. Je tiens mon coupable, peut-être même mon statut de victime, mais pas encore ma survie. La piste est impraticable, le demi-tour impossible. Ma carte m’indique que la route nationale est à plus de sept kilomètres. Il n’est pas encore 10h, j’espère y arriver pour 12h30. Je rêve déjà d’un bon déjeuner.
La réalité est autre. La douleur est si vive que chaque pas est une épreuve. Je repense aux mots de Guillaumet : "Ce qui compte, c’est de faire un pas, et encore un pas, c’est toujours le même pas qu’on recommence." Qu’est-ce que ça aurait été si je ne l’ai pas rencontré.
Après trois heures, je parcours… 700 mètres. Arrivé au bord du lac, je tente de fabriquer une béquille avec un roseau, mais elle casse. Numéros d’urgence inopérants. Ça va être long.
Je dois traverser le lac à la nage. J’abandonne mon sac, mes papiers, ne gardant qu’une couche de vêtements, du pain, un filtre à eau et mes lunettes. Une prière spontanée, un Ave Maria lourdais mêlé à un Bismillah tangérois, et je plonge. Moins de deux heures et 800 mètres plus tard, tel un caniche du 16e, j’arrive sur l’autre rive.
Un kilomètre plus loin, j’aperçois un berger. Je hurle "kaïne mouchkile", un très français "il y a un problème" en hassanya. Mais vu ma démarche, pas besoin de traduction.
Peu après, il revient accompagné. Un pick-up me récupère. El Hadj, alerté, m’accueille, me nourrit, et me permet d’appeler Moulay, mon hôte à Nouadhibou, dont j’ai inscrit le numéro au feutre sur mon bras avant ma traversée. J’appelle aussi mon père, qui pense que je le contacte pour la nouvelle année. Raté. Il est 18h, j’aurais dû être à table à 12h30. Finalement, j’arrive pour l’apéro.
RETOUR EN FRANCE
À l’hôpital régional, tout s’enchaîne. Diagnostic, plâtre, décision de rapatriement. Une nouvelle fois, je suis frappé par la générosité absolue de ce peuple. Et surtout, je réalise que mon chemin, entre le lieu de la chute et là où je suis retrouvé, mène vers le Nord-Est… comme Guillaumet et Saint-Exupéry.
Sac et affaires récupérés, deux unes dans le journal local (Sahara Mediaş), trois auditions de gendarmerie plus tard, je suis rapatrié puis opéré.
Place désormais à la convalescence avant de repartir sur d’autres sentiers…